Interview/ Martine Ducoulombier : « Le métier de journaliste a été galvaudé »

Martine Ducoulombier 82 ans, directrice de Dialogue production, est la première femme rédactrice en chef de Côte d’Ivoire. A l’occasion de la première édition des RIRes (Rencontres Inspirantes du Réseau), elle s’est entretenue avec une délégation du ReFJPCI conduite par Agnès Kraidy le 26 juin 2022 dans sa résidence de Grand Bassam.

Comment Martine arrive en Côte d’Ivoire ? (Sa majesté Agnès Kraidy)

J’ai quitté la France pour la Côte d’Ivoire à l’âge de 21 ans avec mon défunt époux Jean Claude Durand. C’était en 1964. Nous étions tous deux journalistes. Mon mari avait un service militaire à accomplir. Il a été le 1er secrétaire de rédaction à Fraternité Matin. De mon côté, j’ai travaillé à la radio puis à l’AIP (Agence Ivoirienne de Presse). Après quelques mois, j’ai été nommée rédactrice en cheffe du magazine Eburnéa.

Pourquoi avoir choisi d’être journaliste ? (Agnès Kraidy)

J’ai décidé de devenir journaliste car je ne voulais pas être l’employée de qui que ce soit. A l’époque, nous les filles, étions censées être des secrétaires. Mon père achetait beaucoup de journaux et je les lisais tous quand j’étais toute petite. C’était naturel. J’ai un cousin qui était journaliste. Tout ceci a favorisé mon choix. Cependant, mon père directeur général d’une entreprise privée était contre. Il ne voulait pas que je fasse ce métier ni que j’épouse un journaliste de surcroît Marseillais. Son projet pour moi était que je fasse de hautes études aux Etats Unis.

Martine Ducoulombier et les femmes du REFJPCI

Comment vous vous sentiez avec les confrères ? (Agnès Kraidy)

Je me sentais à l’aise au milieu des hommes. Quand on est seule, on a la force de la faiblesse. Selon moi, la meilleure défense c’est l’attaque. Quand un homme te dérange ou te maltraite, fais-lui savoir cela. On doit attaquer au lieu de se défendre. Tu écris ce que tu veux écrire ; tu dis ce que tu as à dire et non se plaindre ou pleurnicher. Je n’admets pas que les femmes aient des attitudes de pleurnichardes. Ce n’est pas comme ça qu’on résiste.

Pourquoi Martine quitte-t-elle la presse ? (Agnès Kraidy)

Mon patron à l’époque a refusé de renouveler mon contrat et j’en ai profité pour créer ma propre entreprise. J’ai créé Ivoire Scribe, la toute première agence de communication de Côte d’Ivoire axée sur l’écrit. J’ai vendu Ivoire scribe à ma belle-mère et j’ai créé Dialogue Production spécialement pour les films. On a voulu interpréter tous les livres de la collection Adoras. L’une de nos productions à succès est le film le pari de l’amour avec Isabelle Béké.

Quel regard portez-vous sur la presse aujourd’hui ? (Agnès Kraidy)

Mon regard sur la presse ivoirienne est désolant. Avant, le journal Fraternité matin était tiré à 80.000 voire 100.000 exemplaires. Les autres quotidiens tiraient entre 60.000 et 80.000 exemplaires. Ça me désole quand j’apprends que les journaux sont tirés entre 3000 et 4000 exemplaires. Beaucoup de personnes ne lisent pas. Tu ne peux pas être dans un pays et ne pas t’intéresser à la presse, ce n’est pas possible.

Je regrette de voir quelques fautes d’orthographe lamentables à la une des journaux. A l’intérieur du journal ce sont des fautes de français ridicules, des expressions nulles. Voici un exemple de titre que je trouve nul : Il va se passer quelque chose… Cependant, dans notre presse il y a quand même des journalistes qui écrivent de bons articles. Je lis l’actualité par internet.

Alire aussi: Côte d’Ivoire / Le GEPCI envisage des journées presse morte

Quelles sont les raisons de ce désintérêt ? (Norberte zézé)

L’une des raisons est que certains confrères ont été des vendus ; ils produisent des articles de complaisance. On a donc perdu la notoriété. Le métier de journaliste a été galvaudé, on ne lui accorde plus le mérite d’antan. Galvaudé par ces journalistes qui passent d’un parti à l’autre ; d’un journal à l’autre. Avant, Fraternité matin était « la parole sainte », maintenant la télévision a remplacé la presse écrite.

Quels conseils pour la jeune génération ? (Brigitte Kakou Lou)

Ayez confiance en vous, ne vous sous-estimez pas. Proposez des idées innovantes, distinguez-vous, ne faites pas juste ce qu’on vous demande, faites-en plus. A l’école de journalisme de Lille j’en ai appris. Même si je n’avais pas fait Lille, j’estime qu’il faut qu’on sache se faire entendre. On a l’impression que les femmes se sous estiment alors que les hommes se surestiment. Ils veulent gagner, s’imposer. Les femmes n’ont pas confiance en leur capacité.

A lire aussi: Journée Nationale des Femmes des médias et dans les Médias / Agnès Kraidy : « les contenus médiatiques seront de plus en plus genrés » 

Dans les écoles de journalisme on rencontre beaucoup de jeunes filles inscrites, mais absentes dans les rédactions. Qu’est ce qui explique cela ? (Norberte zézé)

Les jeunes filles qui étudient le journalisme ne sont pas dans les rédactions car elles se marient vite et les salaires ne sont pas attrayants. Aujourd’hui, vous sortez des écoles on vous propose quoi ? Je prends l’exemple d’une jeune fille Malika extrêmement brillante. Je l’ai aidé à obtenir une bourse d’étude pour l’école de journalisme de Lille à condition qu’elle revienne en Côte d’Ivoire après sa formation. Mais, à la fin de son cursus, elle s’est retrouvée à Jeune Afrique, ensuite à l’ONU comme chargée de communication avec un salaire colossal. Si elle revenait ici, à combien serait t-elle payée avec ce niveau intellectuel ?

A lire aussi: LES ETAPES POUR RÉUSSIR SON MARIAGE

Quel est le regard de Martine Ducoulombier sur le travail de la jeune génération ? (Marie laure Zakri)

Il y a des filles qui écrivent bien. Elles sont à féliciter.

Quelle place accordez-vous à la formation ? (Flora TEHE)

J’ai eu une formation écrite. On nous entrainait à faire des billets, à faire des titres avec toute la méthode équilibrée et signifiante. Il est très important de se faire former.

Avez-vous pensé enseigner le journalisme ? ( Brigitte kakou lou)

Je n’ai pas la patience pour enseigner et je me demande comment peut-on apprendre le journalisme dans des universités ? On apprend ce métier dans les écoles de journalisme dynamiques.

Qu’est-ce qu’un bon journaliste ? (Agnès Kraidy)

Un bon journaliste c’est quelqu’un qui détecte l’importance dans un sujet, le traite et le rend comestible pour son public, son journal. Il ne s’agit pas de parler la langue de voltaire. Il faut être pédagogue.

Est-ce que le contexte aide à être un bon journaliste (Brigitte Kakou Lou)

Non. Si vous proposez des miettes à des personnes qui ont de la valeur c’est clair qu’elles s’en iront. Le contexte n’est pas bon. La profession est dévaluée.

Que peut faire le ReFJPCI pour un regain d’intérêt du métier en ce qui concerne les femmes? Elles sont plutôt dans les cabinets des ministres que dans les organes de presse (Brigitte Kakou Lou)

Ce n’est pas parce que tu es journaliste que tu fais parfaitement la communication. Ça n’a rien à voir. Aussi simple que cela puisse avoir l’air, il faut des leçons de grammaire, de langage, amener les consœurs à lire les journaux ; pas à se contenter du basique, c’est ce qui pourrait améliorer le tableau.

Que pense Martine des perdiemes ? (Norberte zézé)

Un journaliste ne doit pas être payé pour faire ce qu’il a à faire. Les perdiemes sont supposés les encourager. On n’a pas besoin d’empocher 25 milles francs pour écrire un papier. Aussi, si les rédactions payaient normalement les journalistes, ils ne seraient pas obligés de quémander 25 milles francs, c’est honteux.

Comment réussir à allier vie professionnelle et vie familiale ? (Flora TEHE)

C’est en Côte d’Ivoire que cela est possible parce qu’il y a des nounous pour nous aider. C’est plus facile. Par contre en France, tu es obligée d’aller déposer et chercher tes enfants à l’école.

Une sélection de Flora TEHE