Coupe de cheveux des lycéennes : Colères et douleurs muettes

Coupe de cheveux des lycéennes : Colères et douleurs muettes

Si à l’origine couper les cheveux concernait uniquement les jeunes filles du premier cycle (de la 6e à la 3e) aujourd’hui, celles du second cycle et du  supérieur sont concernées dans certains établissements publics de Côte d’Ivoire. Citons en les Lycées municipaux 1 et 2 de Koumassi où depuis l’année scolaire 2013-2014, de la 6e à la Tle les filles doivent se couper les cheveux. Cette situation interpelle, d’où la raison de cette enquête, des motivations de la coupe de cheveux des filles et ses effets sur le système éducatif.

Origine de cette pratique

En  2016, quand nous avons entamé cette enquête,  il était question dans un premier temps de savoir qui était à l’origine de cette décision de couper les cheveux des jeunes filles.  Notre première destination fut le Lycée moderne d’Angré. Dans cet établissement, seules celles du second cycle peuvent garder de longs cheveux. Madame le proviseur que nous avons racontée a révélé qu’elle a trouvé les choses ainsi  et qu’elle pense que la décision vient de sa hiérarchie. La plupart des chefs d’établissements publics interrogés nous disent que cela vient du ministère, depuis belle lurette. A la question de savoir s’il y a un arrêté ministériel à ce propos, personne n’en sait davantage. Une source au Ministère de l’éducation nationale nous répond ainsi : « On  n’a pas besoin d’arrêté ministériel avant que les filles coupent leurs cheveux. Chaque IEP ou DREN est libre de décider. Et cela est inscrit dans le règlement intérieur de l’école ». Visiblement, elle n’apprécie pas qu’on touche cette question. Pour dire que la décision de couper les cheveux est laissée à l’appréciation de chaque responsable d’établissement.

Quand est-ce que couper les cheveux a-t-il de rigueur ? Nous ne saurions le dire avec exactitude dans la mesure où il n’y a eu aucun acte officiel à ce sujet. Le constat est que la coupe de cheveux chez les collégiennes et les lycéennes a  pris de l’ampleur, se propageant d’établissement en établissement. Roger Kaldini, communicateur et psychologue nous situe sur la période : « Déjà le phénomène est nouveau. Parce qu’il n’avait jamais été question dans les années 70 jusqu’à maintenant de s’attaquer à quoi que ce soit concernant les cheveux de la jeune fille. Nous remarquons que c’est à partir des années 90 qu’on a commencé à s’attaquer aux cheveux de la jeune fille.

Diby S. (éducateur), abonde dans le même sens : « cela a commencé dans les années 96. Je me rappelle bien, j’étais en classe de troisième, au Collège moderne de Korhogo. Ils ont demandé à toutes les filles du premier cycle de se couper les cheveux. Cela a même créé des problèmes, parce qu’il y avait certaines qui avaient des cheveux longs. Au second cycle, cela était permis, mais pas de coiffures extravagantes ».

Qu’est-ce qui a justifié cette pratique ?

« Première raison : cela permettrait à la jeune fille de gagner du temps pour étudier, au lieu de passer une, deux ou trois heures à la coiffure. Deuxième raison : on pense qu’en se faisant très belle, cela attirait les regards des gens sur elle. Il faut donc réduire la tentation, en mettant les cheveux à un niveau très bas, qui laisse voir la forme de la tête », explique Roger Kaldini.

Révolte des élèves

Au Lycée technique d’Abidjan, les jeunes filles doivent se couper les cheveux de la 2nde  à la Terminale.  Au cycle supérieur (BTS) elles peuvent garder leurs cheveux, mettent les mèches  à condition de faire des coiffures discrètes. « Cela  été très difficile, quand on a commencé à obliger les filles à couper leur cheveux. Dans leur colère, elles ont déversé tous leurs cheveux et mèches devant le portail de l’école pour manifester leur désaccord.  L’inspecteur a même été saisi, mais nous n’avons pas fléchi », affirme M. Kia Diomandé, Proviseur du Lycée technique d’Abidjan. 

Simone D. élève de 4e au Lycée Moderne d’Abobo : « Depuis 2014, Madame le ministre a demandé qu’on garde nos cheveux. Mais, les éducateurs demandaient qu’on se coupe les cheveux. Le 13 janvier 2016, elle a dit que nous pouvons maintenant garder nos cheveux pour pouvoir nous différencier des garçons, mais il ne faudrait pas que cela soit trop long. C’est le lundi 26 janvier, alors que nous étions au drapeau, on nous a dit qu’on pouvait garder nos cheveux, mais sans les laisser trop pousser. Toutefois,  lorsque nous entrons en classe, les professeurs nous mettent dehors, nous disant d’aller nous coiffer. Nous sommes allées nous plaindre chez l’économe, il nous a dit d’aller en classe sans nous coiffer. Mais lorsqu’on rentre, ils nous mettent encore dehors disant que ce sont eux qui font le cours et non l’économe. Donc si on ne veut pas couper nos cheveux, qu’on reste dehors. Voilà comment nous avons été contraintes de couper nos cheveux ».

Révoltées, les collégiennes ou lycéennes ne peuvent que se plier au règlement intérieur au risque de se voir soit expulsées, flanquées un zéro ou avoir leurs cheveux coupées de force par les éducateurs, qui n’hésitent pas à s’essayer à la coiffure.

Des parents contraints de contourner ce règlement

Certains parents usent de leur influence sociale pour contourner cette règle, comme témoigne Anabella K  « J’ai fréquenté de la 6e à la 3e, le Collège notre Dame du Plateau, de 2005 à 2009, au sein duquel on coupait les cheveux des jeunes élèves d’origines africaines, de la 6e à la terminale. Les raisons évoquées par les sœurs directrices de l’établissement étaient que les cheveux taillés étaient gages de réussite, car ils évitaient le stress de penser aux coiffures et de consacrer le temps perdu au salon de coiffure à des choses plus précieuses comme l’étude ou la prière. Soit ! Mais étrangement cette règle ne s’appliquait plus du tout aux élèves d’origine caucasienne ou eurasienne, les occidentales, asiatiques ou métisses. Oui, il y avait des filles libanaises et françaises, qui ont gardé leurs cheveux longs, parce que leurs parents ont refusé de se soumettre à ce règlement.  Devant cette injustice flagrante, je fus poussée à poser la question à une de nos sœurs éducatrices ». Et la réponse me fait rire, même encore aujourd’hui : « Mais les blanches là ce sera vilain avec elles oh, coco taillé là, alors que sur vous ça fait propre ! » »

Des convictions tirées de la Bible

M. Djazé, un parent d’élève révèle : « ma fille avait été orientée en 6e au Lycée moderne de Grand Bassam. Et Madame le principal m’a convoqué pour me signifier que ma fille a manqué de respect à l’éducateur, parce qu’elle ne veut pas se couper les cheveux.  Alors, j’ai dit que nous sommes croyants, et qu’elle est une femme et que la Bible interdit en 1 corinthiens 11 : 4-16 à une femme de se couper les cheveux. J’ai ajouté que je ne pouvais pas aller contre la Bible. Alors, elle a  demandé comment on pouvait résoudre le problème. C’est alors que d’un commun accord, nous avons trouvé la solution d’aplatir les cheveux de ma fille et non les couper. Elle a ainsi  gardé ses cheveux et obtenu le BEPC et le BAC dans cet établissement ».

Douleur muette des victimes

Germaine B, une victime du système rend son témoignage : « En 1997, alors que j’étais en classe de 4e, j’ai été expulsée de l’école parce que j’ai refusé de couper mes cheveux. Cela a été difficile, malgré toutes les tentatives menées par mes parents et mes pasteurs, pour demander une faveur à mon endroit, cela n’a pas abouti. C’est ainsi que je suis allée à Yamoussoukro où j’ai intégré le Lycée hôtelier de ladite ville. Et j’ai été major de ma promotion durant tout mon cursus dans cette école. Puis, j’ai poursuivi au Lycée professionnel Hôtelier  d’Abidjan où j’ai obtenu mon BT en cuisine et pâtisserie ».

Si Germaine B a eu cette grâce, il n’en est pas de même pour M K. Car 20 ans plus tard, les choses ont changé dans cet établissement. En témoigne M.A, rencontrée le vendredi 07 septembre 2018. Voici son témoignage : « Je suis étudiante en deuxième année et j’ai 28 ans. J’ai été admise dans cette école, l’année dernière suite au concours que j’ai passé après la classe de terminale. Lorsque je suis arrivée, la chose qui m’a marquée c’est la coupe de cheveux. J’avais de très longs cheveux qui me tombaient dans le dos, car ils n’avaient jamais été  coupés depuis la classe de CP2. Mais on nous a dit qu’une nouvelle Directrice venait de prendre fonction et qu’elle exigeait que toutes les filles de l’établissement coupent leurs cheveux. Cela a été une surprise pour moi, autrement, je n’allais pas présenter ce concours. Certaines de nos camarades n’ont pas accepté et ont préféré quitter l’école. Mais j’ai été contrainte, comme prise au piège, de couper mes cheveux, ce avec beaucoup de douleur, car je désirais faire cette formation. Pour moi, les cheveux représentent la femme. C’est le symbole de la féminité et la majorité des filles, toute religion confondue, souhaite garder leurs cheveux longs. Pour moi, c’est une injustice. Et garder les cheveux ne veut pas dire qu’une fille n’est pas intelligente à l’école. Alors que j’ai fréquenté des établissements publics à l’intérieur du pays et on ne m’a jamais demandé de couper mes cheveux ; si ce n’est l’année dernière au Lycée professionnel Hôtelier d’Abidjan ».

Cette révélation de M.A est inédite pour nous, mais elle nécessite une vérification. Lundi 10 septembre 2018, nous sommes au Lycée professionnel hôtelier d’Abidjan situé à Cocody, Riviera Golf. La cour est pratiquement vide, pas d’élèves, la rentrée des classes n’est pas encore effective. Néanmoins,   l’administration est ouverte. Le tableau d’affichage confirme les dires de M.A. Dans la rubrique des tenues exigées, il est écrit : « Filles : cheveux courts style garçon sans fantaisies (1e, 2e, 3e année CAP-BT) ». Nous nous rendons au secrétariat de la directrice pour savoir les raisons de cette décision. La directrice est empêchée, c’est la secrétaire qui nous reçoit. Nous appelons le lendemain, puis retournons sur les lieux. Cette fois-ci, la secrétaire nous demande d’adresser un courrier à la directrice. Chose faite le lendemain.  Mais toutes nos tentatives de rencontrer la directrice vont prendre fin. Un coup de fil du secrétariat nous signifie que la directrice ne pourra pas nous recevoir car occupée. Qu’est-ce qui a motivé une telle décision ? Pourquoi exiger aux jeunes filles qu’elles se coupent les cheveux alors qu’elles ont déjà quitté l’enseignement général et dépassé l’âge de gamine ?  Pourquoi couper les cheveux quand on sait que les cuisiniers ont toujours les calots sur la tête et cela est même dans la liste des fournitures au lycée hôtelier ?

A l’instar du Lycée hôtelier qui a instauré cette pratique dans le règlement intérieur, l’INFAS (Institut National de Formation des Agents de Santé) fait parler de lui. La pratique gagne du terrain. En effet, depuis l’année académique 2017-2018, le règlement intérieur de cet établissement a été modifié. Désormais, les étudiantes doivent se couper les cheveux. Un agent de l’administration en donne les raisons : « C’est une décision qui vient du ministère. Les raisons sont d’abord sanitaires. Et quand elles sont coiffées avec les mèches, c’est au moins pour un mois.  Imaginez-vous les chevelures d’un mois, et le cuir chevelu qui n’est pas traités, ni lavé pendant un mois. Imaginez l’odeur que cela dégage, alors qu’elles doivent se pencher sur des malades pour les soigner. Cela n’a jamais été pris pour des raisons religieuses. Il y a aussi des raisons de discipline. Car il y a des étudiantes qui portent les mèches et les longs cheveux sous lesquels elles cachent les smartphones et les téléphones pour tricher. En stage, nos étudiantes sont tenues de porter des calots et des foulards pour éviter que leurs cheveux touchent un malade ». 

Situer les responsabilités

Si la décision de couper les cheveux des filles est motivée par des coiffures fantaisistes, pourquoi ne pas interdire les dites coiffures ? Quel est le rôle des éducateurs et surveillants ? Les filles jeunes ont-elles assez de forces pour faire un bras de fer avec l’administration, au point de refuser de se ranger ? Si les responsables des établissements publics réussissent à imposer la coupe de cheveux, pourquoi ne procèdent-ils pas de la même manière pour interdire les coiffures extravagantes à base de mèches ? Pourquoi, pour une minorité, la majorité doit-elle payer le prix ? Est-ce la faute aux jeunes filles si Dieu les a pourvues de longs cheveux ? La manière « style garçon », exigée aux jeunes filles quant à leur coupe de cheveux ne serait-il pas réfuter que Dieu dans sa volonté a pourvu aux femmes une longue chevelure ? S’est-on interrogé sur le fait que les filles ont naturellement de longs cheveux contrairement aux garçons ? A-t-on profondément examiné pourquoi Dieu le créateur a naturellement pourvu aux femmes de longs cheveux contrairement aux hommes ?

La question du taux de réussite

« Quand j’observe les résultats, vraiment tout me donne raison. En G1, on était pratiquement à 42%, mais depuis, elles  sont à 90% de taux de réussite. Nos taux les plus faibles ont été l’année dernière en  2017 où nous avons eu 68% sinon nous avons toujours été au-delà. On a eu 85% cette année. Tout me donne à croire que nous sommes sur la bonne piste. A cause de la coupe de cheveux, elles sont même pressées de quitter l’établissement ; alors elles se mettent au travail », se réjouit le proviseur du Lycée Technique d’Abidjan quant au taux de réussite de son établissement. Et, nous le lui concédons et le félicitons. Cependant, est-ce que cela est directement lié à la coupe des cheveux ? Tous les établissements où les pensionnaires coupent leurs cheveux ont-ils de bons taux de réussite ? En d’autres termes, les filles ont-elles un mauvais rendement dans les établissements où on leur permet de garder les cheveux ?  La chevelure nuit-elle vraiment à la réussite scolaire ?

Au cours de cette enquête, les établissements scolaires français homologués en Côte d’Ivoire, notamment  le lycée français Blaise Pascal de Riviera 3, l’école la Farandole internationale de Cocody et le Lycée international Jean Mermoz d’Abidjan Cocody-centre ont été visités. Le constat est qu’on n’oblige pas les collégiennes et lycéennes à se couper les cheveux. Pareil, pour le Lycée Classique d’Abidjan, établissement d’excellence, où les filles peuvent garder les cheveux longs de la seconde à la terminale. Dans la plupart des établissements privés, de la 6e à la Tle, les filles sont libres de garder leurs cheveux ou de les couper. Seulement, il est interdit de mettre les mèches, vu l’extravagance des coiffures faites à base de mèches. Si les établissements français et la plupart des établissements privés arrivent à canaliser leurs élèves sans pour autant leur demander de couper leurs cheveux, pourquoi des établissements publics ne suivent-ils pas le même exemple ?  

Le cas zéro grossesse en milieu scolaire

« Aujourd’hui, nos enfants sont précoces,  quand elles embellissent leurs cheveux, on a l’impression qu’elles sont majeures. C’est aussi pour emboucher la trompette de madame la ministre, concernant la campagne zéro grossesse. C’est pour protéger nos enfants des prédateurs », justifie le premier responsable du Lycée technique d’Abidjan. Certes, l’initiative de zéro grossesse est à encourager. Cependant, pour atteindre ce but, l’école à elle seule ne peut garantir ce résultat.

On ne séduit pas seulement à cause de sa chevelure, mais on séduit aussi par la démarche, la désinvolture, la jupe qui monte. En effet, en dehors de l’école, ces collégiennes et ces lycéennes conservent leurs mauvaises habitudes. Quand on voit de plus en plus d’élèves s’habiller à moitié nue, en mini-jupes, en collant et prendre d’assaut les maquis et plages, on ne doit pas être surpris des résultats. Par leur habillement, elles mettent en exergue leurs formes, voire leurs rondeurs, provoquant une attirance sexuelle. C’est là qu’il faut toucher le problème. Il y a donc un gros travail à faire au plan de l’éducation donnée par les parents et au plan religieux. L’implication des parents et des hommes religieux s’imposent si l’on veut des résultats effectifs. Selon Roger Kaldini, « un élève est contrôlé par trois facteurs : ses parents, ses enseignants et son environnement ».

Que faire ?

La chevelure est un don de Dieu à la femme, une gloire pour elle. C’est le premier moyen par lequel Dieu différencie la femme de l’homme. Avoir les cheveux longs pour une jeune fille, n’est pas une faute, mais un don de Dieu le créateur. C’est incompréhensible que des règlements intérieurs obligent des jeunes filles à se couper les cheveux. Il faut donc tenir compte de tous les élèves qui souhaitent ne pas couper les cheveux que ce soit pour des convictions religieuses ou non. Alors, il n’y aura pas d’injustice. A-t-on mené une étude à base d’un échantillonnage conséquent, pour savoir si le fait de couper les cheveux a amélioré le rendement de la jeune fille ou si cela a réduit le taux de grossesses en milieu scolaire ?   

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